Mes séances de radiothérapie

Publié le par Christine Lefeuvre

Voici trois étapes sur cette phase du parcours. J'y ai rencontré des personnes fortement investies dans leur mission, avec une femme médecin exemplaire.

Présentation/Négociation

Ce premier rendez-vous, je reconnais y être allée sans grande conviction. En fait, je ne me voyais tout simplement pas, à l'issue d'un combat tel celui qu'avait représenté la chimiothérapie à mes yeux, enchaîner sur un autre marathon. Exposer ses seins (ou plutôt ce qu'il en reste pour certaines femmes) pendant trente trois jours à divers manipulateurs ou manipulatrices sous les yeux des caméras ne me réjouissait nullement. Je me sentais tout bonnement incapable de réussir ce genre de prouesse.

Cette femme médecin radiothérapeute, Isabelle Lecouillard,se présente, m'invite à expliciter le pourquoi de ma présence. Il est toujours plus aisé à un praticien de partir du savoir du patient pour élaborer son propre discours. Je m'interroge à mon tour pour savoir ce qu'elle détient à ce jour comme information à mon propos. Je trouve important de rétablir une égalité minimale dans une situation où le déséquilibre est d'emblée un élément majeur.

Elle prend l'initiative de m'expliciter le déroulement d'une séance. Je l'interromps dès qu'elle me parle du positionnement les seins à l'air, les bras en l'air...Je demande à être couverte d'une étole. Elle accepte en me précisant qu'il faudra envisager une repérage initial à partir de points tatoués sur ma peau. Je refuse tout tatouage, comme signe indélébile de la maladie gravée à jamais sur ma peau. Elle ne voit pas comment procéder. Je demande des points au feutre. Elle me dit que cela partira à la douche. Je demande de l'adhésif transparent à apposer sur les points au feutre et m'engage à être vigilante lors de ma toilette. Je demande à m'exposer devant une équipe composée exclusivement de femmes et avec un minimum de personnes. Elle fera au mieux. Elle me parle d'un bollus, comme une coque qui doit être constituée pour être apposée sur ma peau. Ce bollus se fabrique à partir d'un gel appliqué sur ma peau et qui va se durcir pour former un moule d'une certaine façon. Je demande une femme pour cette superbe expérience de trois quarts d'heure en face à face avec un parfait inconnu! Seul un homme assure cette fonction apparemment. Aussi, je m'enquiers de ses prochaines vacances pour savoir si une femme peut assurer son remplacement...On me précise qu'une manipulatrice vient de se former à cette mission et que ma demande va donc être étudiée en ce sens. Bref, je sens une belle écoute pour s'adapter à mes besoins.

Je suis ravie de pouvoir poser toutes mes questions. Cette professionnelle m'accorde le temps qui m'est nécessaire pour me préparer à ce qui m'attteend. Elle évoque le scanner, le premier de ma vie là encore! Elle m'affirme qu'elle sera présente à cette séance. Pour moi, le repère humain qu'elle représente me conforte. Je lui dis être ravie qu'elle ne m'ait pas proposé d'examen clinique. Que n'ai-je pas dit là? Elle ne savait probablement pas quand annoncer ce dernier. Elle est bienveillante. Je lui demande le pourquoi puisque je viens d'être auscultée par l'oncologue. Elle précise sa pensée. J'accepte l'examen. Excellente chose puisque mon sein étant souple à ses yeux, le bollus s'avère non nécessaire. En conséquence, moins de risque de brûlure et moins de risque de fibrose sur le long terme.

Je perçois lors d'un tel entretien la nécessité d'arriver munie de sa liste de questions. Pour ne pas en oublier certes, mais surtout pour pouvoir prendre en connaissance de cause les décisions qui s'imposent. Les chiffres peuvent parfois être aisément manipulés pour vous inciter à réaliser les protocoles officiels. Je m'interroge sur la possibilité de recevoir une radiothérapie si récidive il y avait....Et j'apprends donc que si j'utilise cette cartouche actuellement, je ne pourrai l'utiliser une seconde fois sur la même zone.

Dois-je donc attendre la récidive éventuelle pour avoir une porte de sortie avant la chirurgie? Toutes ces questions, je les pose. Cette femme médecin est une femme douce mais porteuse de convictions. Elle n'est pas là pour asseoir un pouvoir, une gloriole personnelle mais bien ancrée dans sa fonction avec l'envie de soigner chevillée au corps.

C'est la personne plus que la fonction qui me convainc d'avancer dans cette voie.

 

Le scanner

L'angoisse devant l'inconnu...La secrétaire m'accueille. J'apprécie la discrétion puisque toutes les personnes derrière moi peuvent entendre la raison de ma venue, mes coordonnées, adresse et téléphone bien reprécisés à chaque passage. Cà c'est du méga secret dans le domaine médical!!! Et encore au guichet annexe, on demande à la personne qui s'y présente son poids, sa taille probablement pour l'administration d'un produit je suppose...

Lorsqu'on vient me chercher en salle d'attente, je suis accueillie dans une cabine de déshabillage avec d'un côté une caméra et de l'autre un miroir, ce qui fait que je ne peux qu'être vue recto-verso! Je demande clairement l'extinction de la caméra. On me précise qu'elle est seulement dissuasive. Comment est-ce possible dans la zone d'intimité que représente cette cabine et dans cet espace où rien ne peut être dérobé? Comme j'insiste, la manipulatrice finit par la débrancher.Je demande explicitement à ce que l'on frappe à la cloison pour venir me chercher même si la cabine est seulement close par un léger rideau. Le médecin arrive et frappe. Elle attend mon autorisation pour ouvrir le rideau. Je reconnais son visage apaisant. Je sors de la cabine munie d'une étole couvrant mes seins. Le médecin m'accompagne pendant toute la durée du scanner. Elle m'invite à respirer, m'adresse doucement la parole. Je suis recouverte d'un papier jetable car je ne souhaite pas être torse nu. Derrière une vitre, des professionnels sont susceptibles d'aller et venir. Je demande à être couverte pour ne pas exposer mon intimité à des inconnus. La manipulatrice réessaie de m'influencer pour le tatouage. Mon non est catégorique.Je suis rassurée que le médecin, mon référent ayant validé ma demande initiale, soit présent car cela peut être pesant de devoir argumenter chaque décision auprès de professionnels successifs. Je vérifie discrètement l'absence de caméras. On me prépare comme un moule aux formes adaptées à mon corps dans lequel je me positionnerai lors de chaque séance. Mes seins sont découverts au minimum. Je me sens respectée. On s'adresse à moi; j'entends par là que je n'assiste pas à un jargon spécifique échangé entre techniciens. On me précise le déroulement des séances à venir. On prend le temps de me montrer la salle dans laquelle les rayons me seront administrés.

Mais avant que je ne parte, la manipulatrice souhaite prendre une photo de mon visage pour éviter toute erreur sur ma personne mais aussi de mes seins. L0 je n'accepte pas. Je m'engage à prendre soin des marques apposées sur ma peau, repères capitaux pour l'orientation des faisceaux. Je ne peux cautionner qu'une photographie de mes seins (et encore ils n'ont pas été impactés par la chirurgie!) circule informatiquement dans l'établissement. Mon visage, mes seins...Un médecin accepterait-il la même chose, seins à l'écran pour les dames et testicules pour les hommes, juste apposés? Sommes-nous dans le même monde? J'ai besoin de baliser mon territoire en permanence...Mais l'équipe demeure très ouverte...Je pars en confiance!

 

Un incident de parcours

Les premières séances se déroulent respectueusement. Je sors de la cabine avec mon étole recouvrant ma poitrine pour arpenter le couloir menant à la salle blockaus. Je ne supporte pas la présence de la caméra face à moi lorsque je suis allongée sur la table. Aussi pendant le positionnement précis sur les points du corps, Vanessa, manipulatrice référente pour moi recouvre temporairement la caméra d'un papier. Lorsque tout est ajusté, elle me recouvre le torse d'un papier avant de regagner la salle des commandes. Je prends progressivement mes repères. Ce n'est pas long, pas douloureux en soi mais être enfermée, observée sans pouvoir se mouvoir, dans un local aussi fortifié si je puis dire, cela m'est difficile. En fait, s'il y avait une possibilité d'échange, ne serait-ce qu'une caméra réciproque, style Skype qui me permettrait de voir quels sont les soignants qui manoeuvrent et sont susceptibles de m'observer, je sentirais un meilleur équilibre dans la relation patient/soignant. Là je subis les ordres éventuels, les regards potentiels d'inconnus derrière ces outils : la situation m'est inconfortable mais la petite équipe qui me prend en charge instaure un climat favorable aux soins.

Jusqu'au jour où je sors de ma cabine et me retrouve avec une parfaite inconnue qui s'adresse à moi, en blouse blanche certes, poliment également mais alors que l'une est parfaitement habillée, l'autre, en l'occurrence moi, ne l'est pas. Quelle asymétrie relationnelle! Je prends conscience que n'importe quel professionnel peut se trouver sans mon consentement préalable derrière cette fichue caméra alors que je suis exposée...Ce parcours et difficile et cette banalisation d'un quotidien professionnel face à l'intimité d'autrui me perturbe vraiment.

C'est la goutte d'eau pour moi...Entrer dans une cabine où je dois constamment répéter que je souhaite être appelée sans qu'on y entre...Je partage mon ressenti avec le médecin, en l'interpellant comme si dans une cabine où elle essaie des sous-vêtements, on entre sans frapper...Certaines manipulatrices entendent fort bien, d'autres acquiescent sans grande conviction, engluées dans une habitude de fonctionnement probablement. Ensuite, les caméras, les professionnels que je ne peux visualiser....Vanessa me précise qu'elle ne peut interdire à des collègues soignants d'accéder à cet espace.

Je demande à être recouverte d'un papier jetable de la tête aux pieds. Je pleure quotidiennement. Je ne me sens pas respectée dans mes choix. Difficile de toruver le sommeil dans de telles conditions et ce, surtout dans la durée. Le traitement dure un mois et demi...

Je suis donc reçue par le cadre du service. Première réaction, l'incompréhension...Je fais valoir la charte de bientraitance affichée dans les locaux de l'établissement, charte qui stipule que soit respectées l'intiimité et la pudeur du patient. Je reconnais avoir des curseurs qui diffèrent probablement des siens. J'expose ce dont j'ai besoin pour réaliser les soins. Et là je suis enfin merveilleusement entendue....Le contact s'établit. La réflexion est engagée.

Je reviens le jour suivant pour connaître le fruit de sa réflexion. Ce cadre de service a fait poser des verrous aux diverses portes pour pouvoir limiter l'accès aux salles de soins. Je le remercie très vivement. La psychologue de l'établissement est informée de la situation. Même si elle reconnaît que d'autres patientes peuvent avoir un ressenti proche du mien, elle me sollicite pour m'aider à porter l'équipe interpellée dans ses habitudes. Il semble qu'il est coutume de verbaliser le mal être de certaines patientes mais pas de modifier pour autant les conditions d'exercice. Là, on accepte de revoir les modalités...Quel bonheur de pouvoir être reconnue dans son intégrité....J'écrirai à la suite de cet événement un sincère courrier de remerciement.

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