Mon parcours de soin en oncologie

Publié le par Christine Lefeuvre

La chimiothérapie

Ma première séance

L'infirmière Sophie vient me chercher en salle d'attente. Une seule personne entre après moi dans cette salle vu l'heure matinale. Nous échangeons. Je suis très heureuse  car elle a des cheveux après quelques cures (c'est ainsi que l'on nomme ces séances même si elles n'ont pas le bienfait d'une cure thermale, je vous le garantis!). Je me dis que c'est donc possible d'éviter l'alopécie complète. Mais lorsqu'elle ôte son chapeau, son cuir chevelu semble nettement clairsemé. Mais elle est joviale cette femme d'un âge quasiment similaire au mien. Elle me rassure car je la sens en forme. Quelle chance ai-je...Nous allons être accueillies toutes les deux dans une même chambre.

L'infirmière, alors que j'expose ma chambre implantable pour l'injection, cherche de quel côté j'ai été opérée...et paraît fort surprise lorsque je dis ne pas avoir été opérée. Je dois donc spécifier que je n'ai pas validé cette option là encore! Je crois lire de la stupeur dans ses yeux. Elle part alors chercher les traitements. Je suis en pleurs assise sur le bord du lit. Ma voisine me rassure.

Dès que le produit est injecté, je lui exprime le pourquoi de cette inquiétude. Je craignais de ne pas obtenir le traitement d'Herceptin, n'ayant pas validé les examens cardiaques qui doivent dans les recommandations officielles être réalisés au préalable. On m'avait présenté cela comme obligatoire. J'avais envoyé un courrier comme quoi j'y renonçais. Mourir de la peste ou du choléra : j'avais besoin de ce traitement dans les plus brefs délais vu l'inflammation mamelonnaire  qui m'empêchait maintenant de porter un soutien-gorge. Mon courrier étant resté sans réponse, je me présentais là sans savoir si ma demande avait été entendue ou non. Ce qui m'a le plus usé sur ce parcours, c'est cette attitude permanente de lutte. Non pas la lutte pour guérir, mais la lutte pour faire valoir ses droits. La loi Kouchner du 4 mars 2002 a beau stipuler que le patient doit offrir son consentement éclairé pour tout acte, si je n'incarne pas cette loi, elle va crever avant moi! Je dois toujours demander, insister, exiger pour obtenir ce qui me semble ultrabasique, à savoir le choix de ce qui s'applique à mon corps. J'ai besoin de conseils professionnels certes, besoin de me renseigner su les risques encourus, évaluer ainsi la balance bénéfice/risques....Mais je n'envisage absolument pas de laisser quelqu'un prendre possession de ce qui m'est très cher : mon libre arbitre!!!

Je suis heureuse de savoir que mon oncologue a bien validé ma demande. Un refus, comme celui reçu initialement par la personne responsable des scintigraphies cardiaques, équivalait pour moi à un passage à l'abattoir : traitement du bétail, sans questionnement aucun, condamnation certaine...

Cette voisine de chambre m'a beaucoup offert. Elle m'a raconté tout naturellement son histoire. Elle a accepté de répondre à mes interrogations en évocant avec moi sa mastectomie, l'acceptation de son image, les douleurs, sa confiance dans les traitements...Elle n'était pas croyante mais rayonnait d'une belle force vitale. J'ai alors assurément pensé qu'une telle rencontre (car ce fut la plus vitalisante sur les séances de chimiothérapie) était un cadeau du ciel pour initier ce parcours et faciliter la mise en confiance.

Sophie m'administre alors quelques produits sous perfusion. Avant de pouvoir bénéficier de l'Herceptin tant attendu, je découvre que des corticoïdes, des antihistaminiques, des antigastriques et antinauséeux me sont injectés.

 

Refus de prémédication

Comme je supporte bien cette première épreuve, la fois suivante, je demande à réduire cette prémédication de moitié. J'essaie en fait d'absorber le moins de produits possible, mon corps n'y étant pas habitué. Je me prépare à des effets collatéraux mais j'espère ainsi que mes récepteurs ne seront pas saturés pour accueillir au mieux les effets attendus.Aussi je sollicite une rencontre avec le médecin généraliste qui évalue les effets secondaires des traitements toutes les trois semaines. Déjà difficile d'obtenir ce rendez-vous car l'infirmière de programmation du jour filtre...Ce médecin refuse. Je dois encore faire valoir mes droits. elle m'affirme alors qu'il lui est impossible de réduire cette prémédication. J'en demande alors la suppression pure et simple.Comme j'insiste , elle valide à contre-coeur mais n'en informera pas l'infirmière. D'où l'injection à mon insu de ces produits...Je le signale à l'équipe infirmière pour le prochain passage. La semaine suivante, une élève infirmière m'accueille. Je m'enquiers de son prénom. Elle semble surprise mais touchée car en une année dans le service, personne ne le lui a demandé au préalable. Bizarre car moi cela me semble évident de nommer les personnes...J'évoque d'emblée ce point de la prémédication. Hélène l'infirmière de programmation arrive en me spécifiant qu'il est difficile d'accéder à mpa demande, le médecin étant absent. Elle utilise des armes de chantage, de culpabilisation sans en prendre conscience : le corps soignant dans sa position de choix, l'autoritarisme, tel un formatage bien ancré! Je lui spécifie les négociations antérieures, précise que j'attends le retour de pause d'un médecin et refuse la pose de la perfusion tant que je n'ai pas connaissance de ce qui y est introduit. Alors que je suis seule avec Cyrielle la stagiaire, je lui affirme être désolée concernant l'altercation à laquelle elle vient d'assister.

Elle m'assure que je n'ai fait que valoir mes droits et que le soignant se doit de respecter ma démarche. Elle avait tellement peur de mal piquer : je lui ai pourtant précisé que le gest importait certes mais surtout l'humanité avec lequel il était réalisé!

Je reviens la fois suivante avec un capital confiance au plus bas. Mon chauffeur, vingt ans d'expérience au compteur, n'en revient pas : je pleure pendant tout le trajet en taxi. Je reprends confiance en priant en salle d'attente. Une interne m'accueille : je lui expose la raison de mon mécontentement et de mon mal-être. Elle fait venir le médecin en question qui nie ne pas avoir transmis son accord à l'équipe infirmière. Le médecin parti, l'interne me confie alors que j'excuse mon agressivité en relatant les faits "Ce ne sera jamais aussi difficile pour nous que pour vous". Une personne sur la bonne voie me dis-je intérieurement!

 

"Vous ne guérirez jamais"

Voici la phrase entendue au rendez-vous médical suivant par ce médecin qui essaie vainement de reprendre position. Elle consulte mon dossier sans y avoir été invitée : je ne l'ai pas choisise comme soignante, je la subis. Me dire que l'informatisation du dossier permet un service au patient de qualité, j'en doute fort...Dans les textes et idéalement oui bien sûr de la même manière que les réunions de concertation pluridisciplinaire... Mais là, quand elle prend conscience que je n'ai pas été opérée, sans prendre de gant, sans que j'aie au préalable posé une question en ce sens, alors qu'elle doit seulement valider la poursuite du traitement par Herceptin, elle lâche méprisante, condescendante cette phrase cinglante, en me regardant droit dans les yeux. Je n'y crois pas. Comment puis-je être ici si je n'ai aucune chance de survie? Pas pour justifier son poste tout de même? Je lui demande de répéter, ce qu'elle fait avec le même aplomb : "Vous ne guérirez jamais". A partir de là, je refuse que qui que ce soit accède à mon dossier sans mon autorisation préalable car j'ai la preuve que cela peut réellement me nuire. Ne pas valider pour soi un protocole, ce n'est pas remettre en question l'équipe de soins mais juste essayer de se maintenir en vie en respectant notre liberté intérieure : cela elle est loin de l'avoir intégré.

Elle ose me signifier que je peux aller me faire soigner dans un établissement privé. Implicitement, elle pense donc qu'un établissement public peut outrepasser la loi, tout décider sans le consentement du patient. A la suite, j'écrirai pour signifier ces faits. Des erreurs, on peut tous en commettre mais une faute, c'est sciemment qu'elle est commise.

La fois suivante, je mentionne ne plus accepter de rendez-vous avec cette personne. Je suis reçue par une interne. Elle me présente alors un étudiant en médecine qui l'accompagne sans solliciter mon accord. J'en ai assez de geindre ne permanence alors je choisis l'option mutisme. Au bout de cinq questions sans réponse, alors qu'ils se regardent tous les deux interloqués, la jeune interne" C'est la présence de mon collègue qui vous gêne?". Je réponds par l'affirmative. Il se lève et je lui explique que cela n'est nullement en lien avec sa personne. L'interne me dit qu'il faut s'exprimer. Je lui ai précisé que c'est ce que je faisais dès que j'y étais invitée.

Si seulement mon intervention pouvait éclairer sa pratique pour qu'elle puisse ne pas se retrouver en situation délicate, c'est tellement simple de ne pas prendre le patient en traître en sollicitant son adhésion au préalable. Comme les touchers vaginaux au bloc opératoire pour apprendre sur patiente endormie, comment les patientes peuvent-elles se sentir respectées? Lorsqu'elles sont éveillées, peu refusent l'accès à leur corps quand leur est explicitée la démarche d'apprentissage nécessaire : c'est par ailleurs fondamental d'apprendre un geste technique mais surtout apprendre à entendre la douleur éventuellement ressentie pour s'adapter et accueillir un oui ou un non de façon respectueuse. La déontologie, l'éthique comme base de la formation des soignants? Un jour peut-être...

 

Le bilan oncologique

Certaines personnes, telle mon oncologue, sans formation préalable en ce sens, savent incarner le soin. Je lui ai précisé mes batailles permanentes, ne serait-ce que matérielle pour obtenir le casque réfrigéré supposé limiter l'alopécie...Elle ne juge pas, elle écoute sans interrompre. Elle demande si elle peut m'ausculter, m'interroge sur mon poids sans me contraindre à un passage sur la balance. Je l'interroge sur la possibilité de guérir ayant été explicitement condamnée à mort par sa collègue. Cette collègue ose-t-elle avouer tout haut ce que tout le monde pense tout bas? "Je ne vous demande pas si je vais guérir mais si je peux encore guérir". Elle est douce. Je pense être en voie de guérison car j'ai multiplié les procédures à ma disposition pour essayer de conserver mon sein : prière, yoga, méditation, marche, méthode Lakhovsky, cure de Breuss...Deux jours avant ce rendez-vous alors que je priais entre les anneaux de cuivre de la méthode Lakhovsky, je ne savais que faire. C'est alors que j'implorais le Seigneur que la dernière croûte de mon mamelon a cédé découvrant un épiderme entièrement régénéré. Comme moi, elle ne palpe plus de tumeur mais me dit sentir un ganglion au niveau axillaire. Je ne lui cache pas ma surprise car mon médecin traitant n'en trouve plus à la palpation. Plutôt que de remettre en question son confrère moins diplômé, elle me précise avoir des doigts de fée : je reconnais qu'elle est fort habile pour gérer les situations complexes! Nous vérifierons au petscan. On ne retrouvera aucune trace apparente de malignité. Elle demeure toujours très humble.

Quand je demande des chiffres précis, elle ose préciser les limites de la science et ne se réfugie pas dans la toute puissance. Elle souhaite m'oreinter vers la chirurgie comme l'exige le protocole. Elle essaie d'accéder à mes freins pour les lever progressivement. Elle ne se heurte pas à la représentation du patient masi l'accompagne au mieux. Je ne veux pas passer au bloc : elle propose un mamelon tatoué...

Ce ne sont pas des réponses à tout, ce sont des réponses adaptées. Elle évoque alors la radiothérapie. Je lui fais part de mon impossibilité de me remettre en chemin pour une autre bataille où il faudra exposer ses seins auprès de manipulateurs différents chaque jour, sous des caméras et ce pendant trente trois jours. Elle entend et m'invite juste à accepter un rendez-vous avec la radiothérapeute. Je valide quelque peu sceptique. Je découvrirai prochainement qu'elle va alors baliser le terrain et ainsi m'ouvrir les portes de façon royale.

 

Jamais je n'entendrai aussi belle phrase "Quoi que vous fassiez, on va vous accompagner". Le soin dans toute sa splendeur, voilà ce qu'elle incarne.

 

 

 

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